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Ma bien aimée Irène chérie,

"Pardonnez-moi de vous avoir trompée: quand je suis redescendu pour vous embrasser encore une fois, je savais déjà que c'était pour aujourd'hui. Pour dire la vérité je suis fier de mon mensonge: vous avez pu constater que je ne tremblais pas et que je souriais comme d'habitude. Ainsi j'entre dans la vie en souriant, comme dans une nouvelle aventure, avec quelque regret mais sans remords ni peur. A vrai dire je suis déjà tellement engagé dans le chemin de la mort que le retour ? la vie me paraît de toutes façons trop difficile, sinon impossible.

Ma chérie, pensez à moi comme à un vivant et non comme à un mort. Je vous ai donné tout ce que j'ai pu donner. Je suis sans crainte pour vous: un jour viendra où vous n'aurez plus besoin de moi ni de mes lettres ni de mon souvenir. Ce jour-là vous m'aurez rejoint dans l'éternité, dans le vrai amour. Jusqu'à ce jour ma présence spirituelle (la seule vraie) vous accompagnera partout.

Vous savez combien j'aime vos parents qui sont devenus mes parents. C'est à travers des Français comme eux que j'ai appris ? connaître et à aimer la France, ma France. Que ma fin soit pour eux un orgueil plutôt qu'un chagrin.

J'aime beaucoup Eveline et je suis sûr qu'elle saura vivre et travailler pour faire une France nouvelle. Je pense fraternellement à toute la famille Mahn. Tâchez d'adoucir la nouvelle de ma mort à ma mère et à ma soeur; j'ai pensé souvent à eux et à mon enfance. Dites à tous les amis mes remerciements et mon affection.

Il ne faut pas que notre mort soit un prétexte pour une haine contre l'Allemagne. J'avais agi pour la France, mais non contre les Allemands. Ils font leur devoir comme nous avons fait le nôtre.

Qu'on rende justice à notre souvenir après la guerre, cela suffit. D'ailleurs nos camarades du Musée de l'Homme ne nous oublieront pas.

Ma chérie, j'admire beaucoup votre courage et j'emporte avec moi le souvenir de votre visage souriant. Tâchez de sourire lorsque vous recevrez cette lettre comme je souris moi-même en l'écrivant (je viens de me regarder dans la glace, j'y ai trouvé mon visage habituel). Il me vient à l'esprit le quatrain que j'ai composé il y a quatre semaines:

Comme toujours impassible

Et courageux (inutilement)

Je servirai de cible

Aux douze fusils allemands.

En vérité je n'ai pas beaucoup de mérite à être courageux. La mort est pour moi la réalisation du Grand Amour, l'entrée dans la vraie Réalité. Sur la terre vous en représentiez pour moi une autre possibilité. Soyez-en fière. Gardez comme dernier souvenir mon alliance: je l'embrasse avant de l'enlever.

Il est beau de mourir complètement sain et lucide, en possession de toutes ses facultés spirituelles. Assurément c'est une fin à ma mesure qui vaut mieux que de tomber à l'improviste sur un champ de bataille ou de partir lentement rongé par une maladie.

Je crois que c'est tout ce que j'avais à dire. D'ailleurs bientôt il est temps. J'ai entrevu quelques-uns de mes camarades. Ils sont bien; cela me fait plaisir

Mon amour, zvierik chérie, une immense tendresse monte vers vous du fond de mon âme. Je vous sens tout près de moi. Je suis entouré de votre amour, de notre amour qui est plus fort que la mort. Ne regrettons pas le pauvre bonheur, c'est si peu de chose à côté de notre joie. Comme tout est clair ! L'éternel soleil de l'amour monte de l'abîme de la mort.

Ma bien-aimée, je suis prêt, j'y vais. Je vous quitte pour vous retrouver dans l'éternité.Je bénis la vie qui m'a comblé de ses présents".

Toujours vôtre Boris